Histoire

Comme un certain nombre d'instruments, l'orgue de Castelnau Estrètefonds ne se situe pas dans l'édifice pour lequel il a été originairement conçu et à plus d'un titre son histoire sort de l'ordinaire.

En 1883, le Carmel de Bagnères-de-Bigorre doit être fermé et le mobilier vendu. Parmi ces biens se trouve un orgue de facture CAVAILLE-COLL, placé dans l'église, au dessus du choeur. Une commerçante de Castelnau d'Estrètefonds, Mme MONTES, s'en porte acquéreur pour la somme de 15.000 francs, et en fait généreusement don à la paroisse en mémoire de son époux et de son fils Joseph, décédés.

L'orgue fut remonté pour son actuelle demeure par les facteurs MAGEN qui tiennent les claviers lors de l'inauguration en janvier 1884.
L'instrument avait été commandé à Aristide CAVAILLE COLL par les Carmes et livré le 1er Janvier 1857.

La disposition actuelle de notre orgue est très particulière. Avec un "Grand Récit" de 14 jeux parlant au 1er clavier, un grand orgue de 6 jeux parlant au 2nd clavier et une pédale uniquement en tirasse, on ne peut que s'interroger sur les désirs des Carmes qui ont commandé l'instrument, ou sur les raisons techniques qui ont amené Aristide CAVAILLE-COLL à prendre ce parti.

La réponse à ces questions semble se trouver dans la situation rocambolesque qu'a connue A. CAVAILLE-COLL à l'occasion de ses commandes avec l'Etat pour les orgues des Cathédrales de Carcassonne et de Luçon (Vendée).

L’évêque de Luçon avait dans un premier temps commandé un orgue pour sa cathédrale au facteur HENRY. Mais après la défaillance de ce dernier, l'évêque de Luçon fit pression sur le Ministère des Cultes pour trouver une solution à la réalisation du nouvel orgue de sa cathédrale.
Le Ministère avait en effet commandé pour Luçon un buffet à l'architecte diocésain BOESWILWAD, qui fut terminé en 1853 mais sans sa partie instrumentale. La cathédrale de Luçon et son évêque se retrouvent alors sans instrument ni projet, mais bien avec un buffet vide. La situation se complique lorsque le Ministère décide d'attribuer le buffet à l'orgue qu’Aristide CAVAILLE-COLL est en train de construire pour la Cathédrale St Michel de Carcassonne.

En effet, de son coté Aristide CAVAILLE-COLL avait reçu commande pour Carcassonne, suivant son devis d'avril 1852. La réalisation de ce grand orgue, très soignée, était déjà très avancée car CAVAILLE-COLL souhaitait le présenter à l'Exposition Universelle de 1855 ; aussi avait-il entrepris la construction d’un nouveau chef-d’œuvre, sans savoir à l’avance la destination finale de l’instrument... (et l'on connaît les déboires que susciteront ce type de comportement par la suite ...!)

Par conséquent, et pour résumer, à partir d'octobre 1854 et sur décision du Ministère des Cultes, le buffet de BOESWILWAD et la partie instrumentale conçue pour Carcassonne sont désormais destinés à la Cathédrale de Luçon.

La composition de l'instrument était plus importante que celle prévue au devis initial de Carcassonne, pour les raisons que nous avons évoquées.CAVAILLE-COLL aurait ainsi, fait rarissime à cette époque, doté l'orgue d'un 4éme clavier appelé "Grand Récit Expressif" de 14 jeux, en plus du récit habituel de 8 jeux. Il semble égalemnt, mais l'information est à confirmer, que cet orgue fut un temps la carte de visite de la manufacture CAVAILLE-COLL : l'orgue que l'on voit sur une gravure représentant le hall de l'atelier ne serait autre que celui-ci, précisément.Un autre élément intéressant est que l'orgue aurait été joué dans les ateliers notamment par César FRANCK qui y aurait interprété la première version de sa "Fantaisie en Ut" et son "Andantino en Sol mineur". Elément troublant en effet, les registrations mentionnés sur le manuscrit (et sur les éditions actuelles) de ces deux pièces correspondent exactement à la composition du "Grand Récit".

Or, se pose un problème de taille, et à tous les sens du terme : si l’orgue construit comporte 4 claviers manuels, la commande vise un instrument de 3 claviers seulement… Aussi, fut-il décidé de retrancher le "Grand Récit" de l'orgue livré à Luçon.
C'est ici que semble commencer l'histoire de l'orgue de Castelnau...

Dans la même période, un Carme de Bagnères-de-Bigorre, organophile averti, de passage dans les ateliers du facteur dont il semble familier, enthousiasmé par ce "Grand Récit", aurait alors demandé que soit construit un instrument pour Bagnères-de-Bigorre avec le matériel existant, c‘est à dire la tuyauterie ainsi que la machine Barker de ce grand récit qui comporte une copula en 16 et un appel d'anches subdivisé en basses, tutti et dessus. Ainsi fut dit, ainsi fut fait.En tout état de cause, la chance a voulu que, malgré les curieux aléas de destination, ce "Grand Récit" nous soit parvenu aujourd'hui dans son intégralité : tous les premiers tuyaux en métal des jeux du récit sont marqués à la pointe "Grand Récit", en plus du nom du jeu (à l'exception notable de la flûte octaviante de 4 dont la tuyauterie est gravée "Récit").

Quant à la disposition actuelle de l’instrument, elle semble répondre à une nécessité liturgique ; accompagner les offices des Carmes. En effet, à Bagnères, l'orgue était placé dans le choeur au dessus de l'autel, ainsi qu'en témoigne une gravure en notre possession. L’impératif était double : il fallait veiller d’une part à ne pas traumatiser les pauvres oreilles des Carmes lors des divers offices et permettre des effets symphoniques dans un espace réduit. L'immense récit, placé en position de GO, pourrait être la réponse. Cette explication est confortée par l'existence d'un "petit frère" à notre instrument : l'orgue des Carmes de la Chapelle Sainte Thérèse de Monte-Carlo, également de facture Cavaillé Coll. Cet orgue comporte deux claviers de 54 notes, un pédalier de 20 notes en tirasse (tiens tiens...) un grand-orgue réduit à sa simple expression et un récit d'esprit symphonique... (voyez sa composition sur cette adresse http://wakamba.site.voila.fr/orgmc.html). L’orgue de Castelnau aurait donc la double spécificité de provenir (probablement) pour partie (le grand récit) d’un instrument beaucoup plus grand (l’orgue de la cathédrale de Luçon avant son installation définitive) et d’être conçu spécifiquement pour des Carmes.

L’hypohtèse tirée de la construction des orgues de Carcassonne et Luçon, orgue dont aucun document de la Maison Cavaillé ne semble à notre connaisance témoigner de l'existence dans son état le plus complet, c'est à dire doté de 2 claviers de récit expressifs, n’est cependant pas définitivement acquise. Tout document sur ce sujet est le bienvenu !

Lors du démantellement du Carmel de Bagnères de Birgorre l'instrument fut acheté par Mme MONTES. Le transfert semble avoir été assuré par MAGEN qui, vu la place disponible sur la nouvelle tribune, a élargi la façade et approfondi le buffet. En effet l'examen des boiseries du buffet montre que ce dernier a été élargi en façade de petites plates faces de deux tuyaux qui encadrent les deux tourelles latérales et la tourelle centrale. La console indépendante est en avant de l'orgue, tournée vers la nef, et ses deux claviers sont inversés, le 1er étant celui du récit et le 2nd celui du grand orgue, ce qui n'est pas sans poser d'épineux problèmes lorsqu'il s'agit de registrer du fait de la disposition (originelle) des claviers. Un superbe banc avec dossier complète le tout.

La tuyauterie en excellent état de conservation est intégralement de facture CAVAILLE-COLL, à l'exception de 4 tuyaux de gambe du GO construits par MAGEN pour étoffer la façade élargie. La composition ainsi que l'harmonie de l'instrument (tuyaux coupés au ton) sont d'origine.
Enfin, à Castelnau, l'orgue fut entretenu par les MAGEN puis par les PUGET qui installèrent une première soufflerie électrique.

En 1970, SIMON et MILIC changèrent le ventilateur électrique ainsi que le placage des claviers, l'ivoire cédant la place à de la vulgaire matière plastique...

Classé Monument Historique en 1991, sur l'initiative de l'Association Joseph Montes et de la Mairie, et grâce à l'aide précieuse du Père Philippe BACHET, c'est à Gérard BANCELLS, facteur à l'Isle sur Tarn, qu'est confié l'entretien courant de l'orgue depuis 1998.

Une restauration menée par la SARL "Béthines Les Orgues" (Jean-Baptiste BOISSEAU et Jean-Marie GABORIT ) vient de restituer à cet instrument tout l’éclat de sa prime jeunesse et la noblesse de ses timbres. Les travaux se sont officiellement achevés en juillet 2005.

L'orgue est joué tous les dimanches pour la messe de 11h. La tribune est alors grand'ouverte...